Les Lieux de Mémoire (R. Mosnier)

PDF
Vous êtes ici :

Les lieux de mémoire

Il est des lieux de mémoire que le temps efface ou dont le sens ne nous apparaît plus. Ils correspondent à une activité disparue, une pensée qui n'a plus lieu d'être... Pourtant, ils parsèment notre village et nous rappellent le dur labeur de ceux qui nous ont précédé.

 Ainsi, au côté des hangars aux murs ouverts abritant le matériel agricole, se dressent d'autres abris en bois sans ouverture apparente. Ces constructions à l'intérieur desquels des rangées parallèles de fil de fer s'étagent, rappellent l'importance de la culture du tabac. Les pieds au nombre de feuilles réglées, contingentées étaient coupés par de longues cisailles avec une double entaille, pour les pendre. Pour les sécher on les suspendait et s'en dégageait une odeur suave, épicée...

Les champs, jusque dans les années 80 abritaient ces herbes à Nicot introduites en France au XVII siècle. Le tabac n'avait pas bonne presse dans certains pays, son expansion depuis les Amériques lui conférait un caractère Satanique. Le foyer de la pipe ne rappelait-il pas l'Enfer où se consumaient les âmes damnées. En Iran l'on coupait le nez de ces adorateurs, en France seul le Corsaire Jean Bart osait fumer sa pipe, devant le Roi Louis XIV...

Le tabac affaire d'hommes se prisait, se chiquait ou se fumait, il était convenance, assurance et maintien et demeure,en dépit de sa nocivité, rituel à l'adolescence.

Nos Puits, réservoirs d'eau, courante ou stagnante servaient à l'irrigation, mais aussi à l'hygiène corporelle, la préparation des plats ou notre propre consommation. Leur bâti en briques circulaire ou cylindrique est surmonté d'édicules de formes diverses avec leurs chaines enroulées où repose le seau.

Et nos croix de mission apparues après la grande Révolution, témoins de ces pasteurs itinérants, porteurs du message de transcendance et de salut éternel dans une France déchristianisée.

Au carrefour de notre Bourg a été érigée la croix concordataire (1802) appel à la conciliation si nécessaire de nos jours.

Nos champs ont évolué, leurs couleurs se modifient sous l'effet du soleil arborant des nuances multicolores. A l'or des Blés au jaune mordoré des Maïs, le vert des Légumineuses et les soleils triomphants (le Tournesol) apportent un contraste saisissant...

L'élevage s'est raréfié, trop de contraintes, d'humiliations d'un travail exigeant, d'un rapport soumis aux lois du Marché. Les Bovins cèdent la place à la race équine, source de loisirs et d'attelage, les jours de fête...On rencontre au gré des pérégrinations quelques ânes qui s'approchent des randonneurs.

Autrefois, il y avait des chènevières, culture du chanvre à rouir dans les ruisseaux, sécher sur les berges et peut être des linières, pour habiller de ces toiles rugueuses ,inusables, nos aïeux. Elles absorbaient la transpiration, préservaient du froid, écologiques avant l'heure. Où sont passés nos draps d'antan que nos lessiveuses absorbaient et qui étouffent nos modernes machines à laver.

Les petits pois, haricots, artichauts parsemaient nos potagers, les prairies artificielles, le sainfoin et la luzerne ont reculé et disparu, victimes de la mécanisation...

Ainsi, va la vie, l'information était orale, la légende côtoyait le réel, comblait ce besoin de merveilleux...ces récits de longues soirées , au coin de l'âtre où les femmes filaient quenouille,les jeunes, au clair obscur se confiaient leurs secrets, les hommes s'endormaient ou refaisaient l'univers.

La vie était collective, entraide, la réussite partagée et si la solitude n'épargnait pas les innombrables veufs et veuves, la tendresse des enfants, petits enfants de la maisonnée adoucissait le manque d'un conjoint trop tôt enlevé à l'affection des siens...